Un ruisseau
De la neige
Des enfants
Des roches plates sont devenues de petits enfants pour lesquels il fallait construire un abri. Une petite fille demande combien de temps encore dehors. Elle a froid, elle commence à perdre des forces. Un garçon l'entraine et lui dit : «Cours!» en riant. Elle le suit. Ils vont tailler des morceaux de glace : ce seront les murs de l'abri. Sa chaleur est revenue tout d'un coup, assez pour aller jusqu'au bout de ces cinq dernières minutes avant de rentrer.
Est-ce que le jeu libre en nature est nécessaire?
Dans notre société performante, quelle place accordons-nous au jeu libre? Nous sommes parfois soucieux d'encadrer le développement de nos enfants et de leur fournir le maximum de possibilités, pour qu'ils acquièrent des compétences utiles sur le marché du travail. Mandarin le lundi soir, piano le mardi, soccer le mercredi, etc. Pourquoi pas? Pour Tribby (2022), le jeu libre en nature est «simultanément une alternative à la forme scolaire et un apprentissage» et pour l'auteur, cet apprentissage «dépasse les exigences du développement de l’enfant en l’inscrivant dans le devenir même de notre commun», à l'heure où plusieurs auteurs abordent le déficit en jeu libre dont souffrent la plupart des enfants occidentaux. En quoi le jeu libre en nature est-il si important? Il serait à la source d'un équilibre nécessaire pour l'enfant, en lui permettant de se développer à son rythme, dans l'élan qui l'habite, dans la conscience de sa nature et de celle qui l'entoure.
Le jeu libre en nature amène l'enfant à développer tous les aspects de son être: habiletés motrices, confiance en soi, autonomie, estime de soi positive, intelligence émotionnelle, empathie, collaboration, compétences langagières riches, habiletés dans la résolution de problèmes et de conflits, etc. Une conscience de soi et des autres fortes forment la base solide sur laquelle se construit l'enfant qui a accès au jeu libre, mentionnent les auteurs de l'Association canadienne de santé publique, dans une étude sur le jeu libre (ASCP, 2019). Certaines recherches recommandent, idéalement, autant de temps libre que de temps encadré dans une journée.
Le temps libre et le jeu libre
Est-ce que les écrans ou des jeux comme les légos font partie du jeu libre? Oui, en ce sens qu'elles proviennent d'un choix et d'une préférence exercés par l'enfant. Par contre, il y a des degrés de qualités au jeu libre. «On parle de jeu libre quand les enfants suivent leurs instincts, leurs idées et leurs intérêts sans se voir imposer un résultat» (ASCP, 2019). Les jeux à fonction définie comme les poupées, les blocs, les dominos ou les camions, etc. comportent une limite à l'imaginaire, parce que ces objets ont une fonction fixe. Une poupée demeurera la représentation d'un bébé, et pas autre chose. Le jeu libre en nature amène un autre type de jeu. L'absence d'objets manufacturés fait en sorte que les enfants visitent plus encore leur abstrait. Des roches plates peuvent devenir des bébés, que l'on manipulera avec soin, avec qui on parlera, que l'on présentera à nos amis. Puis certains d'entre eux adopteront ce nouveau code, et le jeu s'articulera autour de cela. Peut-être alors un abri à construire pour tout ce beau monde, peut-être un tuyau à planter un peu plus haut dans la rivière. Il n'y a pas de limites aux situations inventées dans lesquelles les enfants se plongent.
En nature, de manière libre, les lieux et les éléments à sa portée de main prennent des fonctions tout autres pour l'enfant. Pendant l'enfance, l'imaginaire est occupé à créer de nouveaux mondes et à inventer de nouveaux codes. Tous ces univers donnent lieu à des jeux de rôle spontanés, naturels, innés. Les enfants développent leurs liens les uns aux autres, ainsi que leur langage, en jouant et en discutant sans entraves autres que la bienveillance et la sécurité, dans des jeux qu'ils s'inventent à partir de ce qu'ils trouvent. Des branches: des épées. Des roches: de petites tortues en orphelinat. Des bouts de nuages: un dragon qui plane au-dessus du campement.
Plus le jeu libre sera exempt de règles, autres que celles établies par les participants, plus les enfants seront mobiles et actifs, plus il y aura accès à la nature, plus l'adulte sera présent pour modéliser la régulation des émotions, pour faciliter la résolution des conflits et pour encadrer la sécurité, plus l'enfant aura accès à toutes ses sphères, spirituelles, émotionnelles, intellectuelles et motrices.
Et les risques? L'étude de l'association canadienne de santé publique relate que les accidents ne sont pas plus importants en nature que dans les sports d'équipe ou dans les modules de jeux. Puisque le risque de blessures est omniprésent dès lors qu'il y a activité physique, c'est d'ailleurs la principale cause de décès chez les enfants (Brussoni et all. 2015), c'est à l'adulte de modéliser aux enfants la saine prise de décision devant le risque: comment agir de manière sécuritaire et comment éviter le danger. Sur ce point, de nombreuses études convergent: les bienfaits, pour les enfants, du jeu libre dehors, particulièrement en nature, dépassent largement les risques de blessures (Brussoni et all. 2015). L'adulte s'assure que l'enfant est conscient du danger autour de lui et l'aide à nommer ce qu'il doit faire pour rester en sécurité. «Tu as vu le tronc? Comment sont les branches? Est-ce qu'elles sont très pointues? Comment peut-on marcher sur le tronc sans s'embrancher?» D'instinct, les enfants ont un esprit de préservation très fort et la confiance que l'adulte manifeste aux enfants leur permet d'explorer tous les trésors de l'inconnu, de découvertes en découvertes.
Pascale Demers
Racines Nomades
www.racinesnomades.ca Références: Association canadienne de santé publique (ACSP). Énoncé de position : Le jeu libre des enfants. Mars 2019. Sur Internet : https://www.cpha.ca/fr/le-jeu-libre-des-enfants. Brussoni, M., S. Brunelle, I. Pike, E.B. Sandseter, S. Herrington, H. Turner et coll. « Can child injury prevention include healthy risk promotion? », Injury Prevention, vol. 21, n° 5 (2015), p. 344-347. TRIBY Emmanuel, « L’enfant, le jeu libre, la nature : un regard des sciences de l’éducation et de la formation », Spirale, 2022/2 (N° 102), p. 33-41. DOI : 10.3917/spi.102.0033.
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